Joyeux Noël !

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Dominique Bowmans
Éditorialiste Invitée
Guest Editorialist


Dominique Bowmans
Éditorialiste Invitée
Guest Editorialist

J’ai toujours entretenu un rapport particulier à l’argent et plus je vieillis, plus je me rends compte que ce rapport est difficile. Je suis bien entendu contente de ce que l’argent me permet de faire au quotidien. Je suis contente de pouvoir vivre au chaud, de pouvoir manger ce que j’aime, de pouvoir m’acheter de temps en temps ce dont j’ai besoin et parfois même ce dont j’ai envie. Je suis contente des possibilités que m’offre l’argent; je suis contente du pouvoir que m’apporte l’argent. Par contre, il m’arrive très souvent de me sentir coupable par rapport à ce que l’argent m’offre et qu’il n’offre pas à d’autres, de plus en plus nombreux. Il
m’arrive aussi très souvent de me sentir coupable de dépenser pour des choses ou des objets dont je n’ai pas vraiment besoin. Il m’arrive très souvent de me sentir coupable face aux excès, les miens et ceux des autres.
Les grands centres commerciaux m’étouffent. Wal-Mart m’exaspère et le Buffet des cinq continents m’horripile. Oh, ne vous y trompez pas, vous m’y rencontrerez très
certainement, en coup de vent, parce que le magasinage n’est certes pas un plaisir pour moi, vous l’aurez sans doute compris. J’y rencontre souvent des gens stressés, l’œil hagard, pressés d’arriver au but de leur fin de semaine, pour ne pas dire au but de toute leur vie. Je les vois empiler dans leur chariot, ou dans leur assiette, le strict nécessaire et le surplus débordant de tous côtés par-dessus. Je les vois s’auto-gaver comme des oies alors que le gavage est interdit presque partout sur la planète afin de protéger… les animaux. Je les vois se piétiner et se disputer comme des chiffonniers, simplement parce qu’aujourd’hui, c’est Black Friday; le seul mérite que je trouve à cette journée, c’est bien celui d’être « sombre » en effet.
J’écoute à la radio la fonctionnaire du gouvernement se plaindre de ne pas être payée à cause du système de Phénix et de ses ratés. Un trémolo dans la voix, j’ai presque mal au cœur pour elle quand elle déclare qu’elle ne pourra pas s’acheter de cadeaux cette année. J’entends mon fils parler de ses amis, de ce qu’ils ont et qu’il n’a pas; je l’entends me confier la vie matérielle et financière d’un paquet de gens qu’ils fréquentent et qui la lui racontent à longueur de journée, les habits qu’ils s’achètent, les voyages qu’ils ont faits et qu’ils feront, les maisons qu’ils se paient et les toutes nouvelles rénovations de l’année, parce que les gens ont de plus en plus de mal à se parler d’autres choses que de leur dernier achat, comme si ce qu’ils avaient faisait d’eux ce qu’ils sont et que leur existence n’avait d’autre valeur que celle de leurs multiples possessions.   
En ce gigantesque exercice de surconsommation que sont devenues les Fêtes, alors que les sourires des enfants se monnaient à présent à la taille ou au nombre de cadeaux qu’on leur achète, je vous souhaite un joyeux Noël plein de belles valeurs… pas monétaires, celles-là, et pas monnayables non plus d’ailleurs, désolée !