À travers certaines de ses personnalités-phares, c’est tout le milieu culturel québécois qui fut frappé ces dernières semaines du souffle de la suspicion.
À travers certaines de ses personnalités-phares, c’est tout le milieu culturel québécois qui fut frappé ces dernières semaines du souffle de la suspicion. Les inconduites sexuelles dénoncées étaient telles que bon nombre d’entre nous se sont peut-être demandé comment l’on avait pu garder le silence aussi longtemps. Et pourtant…
Chaque jour ou presque, je vois de magnifiques films à la hollywoodienne prônant de belles valeurs telles que la persévérance, la détermination, la résilience, le respect, l’amour, l’acceptation de l’autre dans tout ce qu’il nous offre de différence. Les émotions sont à nu.
Elles sont fortes, vraies, authentiques (à la hollywoodienne). Elles parviennent même parfois, hypersensibilité oblige, à m’arracher quelques larmes bien senties. Mais essayez donc de faire la même chose dans la vraie vie ! Au pire, vous vous ferez laminer à force d’avoir trop espéré; au mieux, vous servirez de modèle au prochain film hollywoodien qui se présentera dans votre quartier !
Certains d’entre nous, j’ose croire qu’il s’agit bien d’une majorité, tentent encore, tant bien que mal, d’inculquer certaines valeurs à leur progéniture. Dépassant la naïveté de notre propre enfance, nous comprenons sans doute qu’il n’y a pas juste d’un côté, les bons, et de l’autre, les méchants. Nous comprenons que le monde a évolué, qu’il s’est complexifié et que les bons peuvent être très méchants et que les méchants peuvent être très bons (comme dans nos séries Netflix préférées où les anti-héros se retrouvent à foison).
Mais dans ce monde mouvant où tout est dans tout, nous n’offrons plus à nos enfants que des valeurs mouvantes dans lesquelles ils s’enfoncent et s’empêtrent. Cherchant parfois auprès de nous le modèle de leurs actions futures, ils se trouvent confrontés à nos modèles boiteux d’excellence, à notre manque de constance : « Fais donc ce que je dis, mais pas ce que je fais ! »
Depuis le début des années 1980, le rythme des changements qui surviennent au travail ne cesse d’augmenter et d’incessantes nouvelles questions se posent quant à l’organisation même de celui-ci, entraînant souvent le
surinvestissement de travailleurs qui ne demandent qu’à faire fonctionner la machine à laquelle ils finissent carrément par s’identifier, ce qui bien sûr les rend plus vulnérables. Les relations de travail sont érigées en religions au sein de nos entreprises qui ne savent pourtant plus à quel dieu se vouer. Le harcèlement
psychologique, quant à lui, qu’il soit sexuel ou non, est l’un des dommages
collatéraux de notre société en constante évolution. Alors que nous disons unanimement « non » à ce qui se passe dans nos cours d’école, nous ne sommes plus capables de gérer sereinement nos propres relations professionnelles.
Quand, lors de la prochaine sortie du dernier film hollywoodien, nous sortirons notre boîte de mouchoirs, pleurerons-nous sur ces kyrielles d’occasions manquées où « Moi aussi », j’ai oublié de me soucier du bien-être de mon prochain, où « Moi aussi », j’ai oublié de compatir à la souffrance de l’autre, où
« Moi aussi », j’aurais pu livrer bataille contre l’injustice, où « Moi aussi », j’aurais pu dénoncer ce qui était à dénoncer, alors que « Moi aussi », j’ai choisi de me taire, de ne pas dire pour ne surtout pas déplaire… « Moi aussi ! »
Domanique Bowmans
Éditorialiste Invitée
Guest Editorialist