Nostalgies d’ici

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Le 5 décembre 1998, je posais le pied au Canada pour rester. J’avais le cœur gros d’avoir laissé mon frère, ma sœur, mes parents, le reste de ma famille et mes amis, mais j’étais pleine d’espoir.

Je rejoignais la personne, partie trois mois avant moi, qui partage encore aujourd’hui ma vie. J’étais accompagnée de mes deux chiens, deux bergers belges, seules traces tangibles de mon appartenance à cette autre patrie (avec l’accent). Je débarquais à Toronto. Mes premiers contacts avec le Canada furent rudes : tempêtes de neige mémorables (même pour les Torontois), obstacles administratifs divers, immersion anglaise intensive et autres casse-têtes alors que je reconstruisais ma vie dans cet autre pays.

C’est le fait francophone qui me rapprochait de mon chez-moi à des milliers de kilomètres de là, que ce soit celui de cet autre journal pour lequel j’ai travaillé, L’Express de Toronto, qui s’adressait à la communauté franco-ontarienne dont j’ignorais encore beaucoup, mais qui m’ouvrait ses bras, ou ma télé avec son antenne « oreilles de lapin », que je devais manipuler avec précaution si je voulais capter les ondes de Radio-Canada, où je découvrais ce français, étrange et familier à la fois. J’y ai rencontré mes premières vedettes québécoises, Sylvie Léonard et Guy A. Lepage, alors que, les écoutant, je faisais mes premiers pas dans l’humour québécois.

Aujourd’hui, Sylvie et Guy font la une d’un magazine People. Je ne veux pas trop savoir ce qu’ils sont devenus, mais je me souviens du gars et de la fille qu’ils étaient. Aujourd’hui, je lis et relis quelques-unes des œuvres de Gabrielle Roy; je me dis qu’elle n’a pas son pareil pour décrire les vastes plaines du Manitoba ou les conditions difficiles des quartiers pauvres de Montréal. Aujourd’hui, je regarde sur Netflix en 20 épisodes (-1, mais ce n’est pas la controverse que je souligne ici) Les filles de Caleb dont j’ai tant entendu parler, mais jamais lu ou visionné.

Dans ces petits bouts de culture, je retrouve les traces de ma vie d’ici, les traits du Pontiac d’aujourd’hui. Les images de la forêt canadienne traversant les saisons, les tempêtes hivernales aux allures de fin du monde alors qu’ayant pris le risque de sortir, vous vous blottissez près d’un feu bienfaisant, soulagé de ne pas avoir été congelé dans l’instant, le défrichage, mètre par mètre, d’une terre pour nourrir ses enfants, l’emprise de la religion sur le destin des gens, l’industrialisation et les familles déchirées entre survivre ou se préserver, les disparités entre régions rurales et urbaines, tout ça et un peu plus se retrouvent dans Les filles de Caleb. Tout ça et un peu plus se retrouvent au Pontiac.
Au-delà d’une langue, c’est la culture qui tricote les mailles serrées d’un peuple.