Mon histoire d’amour

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Bon nombre de gens ne se privent pas de me dire ce qu’ils pensent de mon passe-temps.

Bon nombre de gens ne se privent pas de me dire ce qu’ils pensent de mon passe-temps. Certains le font en blaguant, yeux pétillants, sourire aux lèvres, d’autres ont l’humour plus grinçant et leur sarcasme n’est pas toujours bienveillant et finalement, sous prétexte qu’ils constituent une majorité plus expressive, un certain nombre de gens se permettent même d’être agressifs. En tout cas, le fait que je fasse du « bécyk à pédales », ici, dans le Pontiac, ne semble laisser personne indifférent.
D’aussi loin que je me souvienne, le vélo a toujours fait partie de ma vie et c’est sans doute à ce titre qu’il occupe encore aujourd’hui une place de choix dans celle-ci. J’ai appris à rouler sur le tard, à l’âge de huit ans, dans le garage d’un marchand. Le vélo était jaune, le vélo était neuf. Dès les premiers coups de pédale, je devinais sans doute, m’éloignant au plus vite de ma mère, tout le potentiel de liberté et d’indépendance que m’offrirait cet engin. C’est donc en vélo que je découvrais mon quartier, en vélo que je vivais mes premières grandes aventures, en vélo que je m’éloignais un peu plus chaque jour de chez moi, jusqu’à l’achat, lors de ma grande communion, de mon vélo bleu roi.
Plus tard, habitant en banlieue de Bruxelles, à 13 kilomètres de mon école, je devais prendre un autobus qu’on appelait « vicinal », mais cet autobus-là, en dehors des heures de pointe, se faisait attendre, beau temps mauvais temps, plus d’une heure durant et mettait, comptant tous les arrêts, à peu près autant pour arriver chez moi… chez moi, c’est beaucoup dire, puisqu’il me fallait encore marcher 1 kilomètre 780 mètres (oui, dans ce temps-là, j’ai mesuré), gros cartable sur le dos, chargée comme un mulet (les casiers n’existaient pas dans mon école et le poids de mon savoir se comptabilisait au nombre de livres que je portais sur le dos).
Et l’autobus coûtait une fortune.
Peu patiente de nature et parce que j’en avais franchement marre d’attendre, j’ai troqué l’autobus pour un vélo mauve tacheté de petits points de mille couleurs; c’était, chez nous, l’avènement du VTT (Eh non ! Pas votre véhicule tout-terrain, mais bien mon vélo tout-terrain). Pour rentabiliser l’achat, il m’a fallu rouler… rouler… rouler des heures durant… Mais au moins, je n’attendais plus en vain. Première histoire d’amour, mes cuisses musclées séduiraient mon premier gars (le deuxième en fait) et le vélo prendrait des allures d’interdit : promenades au beau milieu de la nuit et escapades de quelques jours au beau milieu de nulle part… de plus en plus loin de chez moi.
L’espace d’un instant, je voulais retrouver l’innocence de ce qui, mêlant l’utile à l’agréable, s’est imposé à moi comme un passe-temps, loin de tous les combats qui opposent les fervents défenseurs de loisirs différents. Là, dans ce no man’s land des souvenirs, je me disais que quelqu’un, peut-être, pourrait comprendre cette différence, celle que je ne cherche à imposer à personne, mais que je ne veux pas non plus perdre. Aujourd’hui, il m’arrive donc encore souvent d’enfourcher mon destrier et de découvrir de nouvelles contrées. Le Pontiac, à vélo, c’est magnifique ! Alors, bonne saison à tous !

Dominique Bowmans
Éditorialiste Invitée
Guest Editorialist