L’Art de la guerre

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Tirer sur une journaliste ou charger la foule et les personnes qui portent son cercueil ; envoyer des bombes au phosphore (incendiaire) sur une ville, qui brûlent littéralement tout là où elles tombent ; séparer les enfants des parents ; déplacer de force (déporter) des populations, que ce soit en 1755 ou en 2022… Ces actes vous horrifient, vous hantent et vous révoltent ? C’est justifié. La guerre est une abomination depuis toujours, dont les acteurs passent leur temps à enfreindre les soi-disant règles. Omniprésente depuis que « l’Homme est Homme » ; certains osent même avancer qu’elle représente la véritable nature de l’être humain, qu’elle nous est chevillée au corps et à l’esprit. Elle dévoile les aspects les plus abjects de l’humanité : la haine d’autrui, la rage destructrice, l’égoïsme et l’orgueil. Mais ce n’est pas nouveau. Déjà les Grecs, les fondateurs de la société occidentale — avec les Romains et les arabes — avaient placé la guerre au cœur d’une de leur plus grande épopée : L’Iliade. Si la guerre de Troie que narre Homère commence par le motif futile de la jalousie ou de l’honneur masculin bafoué (Hélène, reine des Spartiates est « enlevée » par Pâris, le Troyen ; son mari, Ménélas, réunit toutes les forces grecques possibles pour l’arracher au prince troyen), le cœur de l’intrigue en est pourtant autre, illustrant ainsi toute la vanité de l’entreprise. En effet, le récit commence alors que les

Achéens assiègent Troie depuis dix ans et se termine sans décrire la chute de la cité d’Asie Mineure. C’est en réalité plutôt autour du personnage d’Achille, le plus grand des guerriers grecs, que les péripéties s’articulent. Et que lui arrive-t-il ? Essentiellement, il entre dans une rage folle lorsque son amant (Patrocle) se fait tuer à sa place dans un duel avec Hector, frère ainé de Pâris et futur roi de Troie. Au point de trainer le cadavre de son ennemi accroché à son char, jusqu’à ce que le corps soit démembré et méconnaissable, mais en plus en interdisant que la famille puisse récupérer la dépouille afin de l’inhumer. Le corps honni mérite seulement de pourrir à ciel ouvert, sans possibilité pour l’âme du défunt de rejoindre sa destination. Quelle sorte de guerre est-ce là ? Si ce n’était que cela !

Agamemnon, le roi célèbre (personnage de plusieurs grandes tragédies) et frère de Ménélas sacrifie sa fille (Iphigénie) pour gagner la faveur des dieux ; à chaque combat, les membres sont tranchés, les têtes roulent, les os sont brisés, la moelle s’en échappe, les organes sont perforés ; même le dieu de la guerre, Arès, est décrit comme un être hideux moralement, duquel le père, Zeus, le hait « plus qu’aucun des dieux qui vient sur l’Olympe, car [il] ne rêve que discordes, guerres et combat ». Dans le monde dépeint par Homère, faire la guerre est souvent associé à un comportement impitoyable : une femme et son enfant implorent-ils de les laisser en vie ? Surtout pas de compassion pour l’ennemi ! Notre instinct de survie nous commande-t-il vraiment d’aller aussi loin ? N’est-ce que le corollaire naturel et inévitable de la lâcheté, de la vantardise, de la mesquinerie et de la cruauté ?

Faut-il renoncer à tout humanisme éclairé et bienveillant ? Doit-on pour autant abandonner toute idée de simple satisfaction au travail, de joie de vivre, d’harmonie entre les peuples ou de bonheur ?