« Politiquement correct » ou censuré?

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Domanique Bowmans
Éditorialiste Invitée
Guest Editorialist


Domanique Bowmans
Éditorialiste Invitée
Guest Editorialist

L’enseignante que je suis réagit aujourd’hui à la nouvelle de la décapitation d’un enseignant d’histoire, le 16 octobre dernier, à Paris. La nouvelle est récente, certes, mais les lieux sont lointains. Le sont-ils tant dans les faits? Bien sûr, le Pontiac semble protégé de tous ces excès, mais l’est-il vraiment? Quelques jours avant sa mort dans des conditions terribles, l’enseignant avait montré des dessins caricaturaux de Mahomet lors d’un cours sur la liberté d’expression.
Plus proche de chez nous et tout récemment également, une professeure de l’Université d’Ottawa s’est fait suspendre pour avoir utilisé le mot « n… »
(je n’ose plus l’utiliser, même dans ce cadre circonscrit) durant l’un de ses cours. Accusée de racisme, la professeure avait utilisé ce mot pour donner l’exemple d’un mot dont une communauté s’était réapproprié le sens.
Finalement, plus proche encore, certains parents se sont donné le droit,
au nom de théories d’ordre créationniste, de discuter la validité de l’existence des dinosaures et de la théorie de l’évolution dans les cours d’histoire de leur enfant.
Bien sûr, ces trois événements ne sont pas interreliés, leur gravité, leur portée et le parti pris qu’ils impliquent à des années-lumière l’un de l’autre, mais ils relèvent tous d’une même dynamique et je ne pense pas qu’il s’agisse de celle de la liberté d’expression bien qu’ici, que ce soit l’un ou l’autre des éducateurs, il y ait bel et bien eu tentative de censure, le premier l’ayant d’ailleurs payé de sa vie.
Alors que le discours « politiquement correct » reconnaît l’existence de rapports de force entre les groupes sociaux, que ce discours s’avère plus que nécessaire
pour défendre les intérêts de groupes minoritaires, exploités jusqu’à leur
dévalorisation dans les mots, le discours sur le « politiquement correct » dans
nos classes d’histoire, emprunt des mêmes valeurs anti-oppressives, risque aujourd’hui la censure au nom du « politiquement correct ». Si les conséquences d’une telle volonté de censure n’étaient pas aussi tragiques, l’absurdité de la situation prêterait à sourire.
Mais je ne souris pas aujourd’hui… Je pense à la famille de cet homme qui s’est fait tuer pour avoir enseigné; je pense à cette professeure qui se fait lyncher publiquement pour avoir tenté d’éduquer. Je pense à ces milliers de dénonciations qui se font sur les réseaux sociaux, qui entraînent les mouvements de sympathie de toute une société… Je crie bravo à l’injustice dénoncée, mais je vois aussi l’injustice créée… Alors que le « politiquement correct » défend les droits des opprimés, il annihile, dans sa foulée, le droit de défense de celle et ceux qui
sont accusés, commettant, en ces temps troubles et obscurs, de plus en plus
d’erreurs « politiquement » justifiées. Je pense alors aux milliers d’enseignant.e.s qui se censurent aujourd’hui par peur des conséquences de demain.