Le suicide des soldats est encore trop souvent une réalité passée sous silence. Gary Reid était encore au service de la marine canadienne en 2009, une année charnière pour lui puisqu’on l’a remercié à ce moment-là de ses services pour des raisons médicales. Gary Reid était premier maître 2e classe en tant que militaire du rang supérieur.
Sylvie Filion
Le 30 octobre 2013 – Gary Reid était encore au service de la marine canadienne en 2009, une année charnière pour lui puisqu’on l’a remercié à ce moment-là de ses services pour des raisons médicales. Gary Reid était premier maître 2e classe en tant que militaire du rang supérieur.
Gary peut parler et s’exprimer plus facilement que bien des soldats qui vivent une problématique semblable à la sienne. Il a 32 ans de service dans la marine et il parle de sentiments d’isolement, il parle de culpabilité, il parle d’être au diapason des émotions vécues avec ses coéquipiers et il parle de sentiments de nostalgie et de souvenirs marquants qui contribuent à forger une profonde identité liée spécifiquement au militarisme.
Le soldat a fait cinq tentatives de suicides alors qu’il était dans les Forces et deux autres après qu’il ait quitté. Et ce qu’il exprime, c’est surtout ce sentiment d’être abandonné par les siens, ce sentiment prédominant d’un immense vide après qu’on ne soit plus en mission. Ajoutez à cela un traumatisme vécu pendant l’enfance et l’état de vulnérabilité causé par d’autres traumatismes vécus à cause de catastrophes comme le tremblement de terre en Haïti ou l’ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans.
Gary explique que d’être un militaire, c’est plus qu’un emploi, c’est une fraternité. « Nous nous appuyons, nous nous comprenons. On peut haïr quelqu’un en tant que militaire, mais on sait que s’il y a des problèmes et que les choses s’enveniment, cette personne qu’on hait nous défendra dans les pires moments », de dire l’ex-militaire.
Mais, surtout, ce qui caractérise les militaires, c’est de faire partie d’un tout et d’une équipe, de cette fratrie qu’ils sentent parfois plus proche d’eux que leur propre famille, que leurs frères ou leurs sœurs, que leur épouse ou même que leurs enfants.
« Parce que le vrai motif d’exister du militaire est de défendre. Mais ces liens qui se développent au fil des missions deviennent des liens d’amitié et de rapprochement qui ne peuvent être défaits que par la mort. Et la mort de l’autre se traduit souvent en culpabilité », d’ajouter Gary. « L’être humain est dirigé par ses émotions, et lorsque le cerveau refuse de faire face à ces souffrances, la personne réagit en conséquence. Ce que les militaires voient et ressentent les affectent jusque dans le cœur de ce qu’ils sont », dit-il.
Alors qu’il avait des tendances suicidaires, Gary explique que le monde dans lequel il vivait lui faisait comprendre qu’il n’y avait d’autre solution que de mourir. « Derrière cette personne qui semble dure, que les gens respectent et qui a l’air fonctionnelle, vit une personne dont le monde intérieur s’est écroulé », ajoute-t-il en précisant qu’il y a non seulement les suicides qu’il faut compter, mais aussi les cas de crises cardiaques alors que la personne est en parfaite condition physique. « En effet, beaucoup de soldats font de l’hypertension causée par le stress et ce stress provoque bien souvent des crises cardiaques », de révéler Gary.
Le 15 septembre dernier a eu lieu, en mémoire des soldats suicidés, une cérémonie au cimetière national du Canada de Beechwood à Ottawa. À travers cette cérémonie, Lise Charron tenait à honorer ces soldats qui ont perdu leur combat contre le syndrome de stress post-traumatique (SSPT – ou PTSD : Posttraumatic stress disorder. Cela fait déjà quelques années que Mme Charron appuie la cause des soldats suicidés. Lise Charron a notamment voulu nommer cette fragilité qu’on refuse de voir et qui est pourtant présente. L’une des mères qui avait perdu son fils par suicide témoignait de ce grand besoin d’être capable de nommer cette grande fragilité humaine vécue par les militaires : le suicide.
L’évènement aura permis d’offrir une sépulture plus digne et plus noble aux soldats qu’on tend à oublier. Au cours de la cérémonie, une plaque commémorative, dédiée aux soldats suicidés, soit en mission ou à leur retour de mission, a été dévoilée, permettant ainsi qu’on ne les oublie plus. Sur la plaque figure en toutes lettres : « Dédié à la mémoire des soldats du suicide – 21 février ». Les parents du caporal Frédéric Couture, décédé le 14 novembre 2007, à l’âge de 22 ans, Linda Lagimonière et Yvan Couture, étaient présents au moment du dévoilement.
La thèse doctorale de Michel Sartori, intitulée « Le drame du suicide dans les forces armées canadiennes, quand la vie perd tout son sens, une parole peut-elle encore émerger du chaos ? » vient appuyer ces données obtenues en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. Le taux de suicides dans les Forces canadiennes de 1994 à avril 2009 était de 206 mortalités chez les réservistes, les ex-militaires, un cadet et un Ranger canadien.
À l’heure actuelle, l’ombudsman de la Défense nationale révèle qu’il n’existe aucune base de données sur les soldats qui souffriraient du syndrome de stress post-traumatique. Selon Michelle Laliberté, au bureau de l’Ombudsman, il serait donc fortement improbable que les médecins puissent avoir accès à ces données puisque la Défense nationale ne saurait pas combien de soldats souffriraient en silence de ce mal.