Mutinerie médicale : Bill 2 déclenche une vague de démissions

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Tashi Farmilo

Publié dans le Journal du Pontiac du 21 novembre 2025.

OUTAOUAIS – Plusieurs médecins du Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Outaouais (CISSSO) ont quitté leurs postes administratifs à la suite de l’adoption du projet de loi 2, la controversée réforme de la santé du Québec, aggravant les pénuries de services déjà présentes dans la région.

Adopté sans débat (par bâillon) le 25 octobre, le projet de loi 2 modifie la rémunération et la surveillance des médecins. Il lie une partie du revenu des médecins à des cibles d’accès pour les patients et accroît le contrôle gouvernemental sur la pratique médicale. La loi prévoit également des sanctions contre les médecins qui entreprennent des actions
collectives, comme des démissions coordonnées ou le refus d’encadrer des stagiaires.

En raison de ces sanctions, plusieurs médecins hésitent à s’exprimer publiquement. Selon le porte-parole du groupe de défense SOS Outaouais, M. Jean Pigeon, cela crée de l’incertitude quant à savoir qui restera dans le réseau public. Selon lui, cinq médecins ont quitté leurs postes de gestion, bien que leurs intentions cliniques demeurent floues dans certains cas.

Le docteur Éric Bégin a démissionné de son rôle administratif de chef de chirurgie. Le docteur Trevor Hennessey quitte ses fonctions cliniques et administratives de chef d’anesthésiologie et prévoit déménager en Ontario. La docteure Shelly Sud a quitté
son poste de chef d’oncologie. Le docteur Lionel-Ange Poungui a démissionné comme chef d’obstétrique-gynécologie, mais continue de voir des patients. Le docteur Mustapha Chelfi, radio-oncologue et l’un des fondateurs du Centre de cancérologie de Gatineau, prend une retraite anticipée, invoquant l’épuisement et sa désillusion face à l’orientation des politiques gouvernementales.

Lors d’une conférence de presse à Gatineau le 10 novembre, le docteur Hennessey a décrit l’effondrement d’un système déjà fragilisé depuis longtemps. « Nous avons vu amputation après amputation [des services de santé] dans la région », a-t-il dit. « Il y a plus de 15 ans, nous avons perdu la chirurgie thoracique, alors nous ne pouvons plus traiter les patients atteints de cancer du poumon ici. Nous avons perdu les services obstétricaux à Shawville. En août dernier, nous avons perdu notre seul chirurgien vasculaire. Il n’y a vraiment plus rien à amputer. Le système meurt. »

Il a critiqué le leadership gouvernemental, affirmant que les problèmes ne proviennent pas d’un manque d’argent, mais plutôt d’une mauvaise gouvernance et d’un manque de réactivité.

M. Pigeon a repris ces préoccupations et accusé le premier ministre François Legault et le ministre de la Santé Christian Dubé d’avoir transformé la crise en affrontement politique.
« Ils ont fait des médecins les boucs émissaires de leurs propres échecs », a affirmé M. Pigeon. « Au lieu d’écouter, ils blâment ceux qui tentent de maintenir le système en vie. »

Dans un message public, Santé Québec, la nouvelle agence responsable des opérations du réseau, a reconnu que la loi a suscité de l’anxiété dans certaines régions et détérioré les milieux de travail. L’agence affirme vouloir assurer la continuité des services et réduire les impacts pour les patients.

Le CISSSO a refusé de commenter.M. Dubé, parrain du projet de loi 2, a annoncé que le
gouvernement suspend deux des dispositions les plus controversées : celle qui liait la rémunération aux cibles d’accès et celle qui obligeait les médecins à demander la
permission avant de travailler à l’extérieur du réseau public.

Il a décrit ce changement comme un geste visant à rouvrir le dialogue avec la communauté médicale.

Le ministère de la Santé a déclaré surveiller de près la situation en Outaouais et a souligné qu’il existe une différence entre exprimer l’intention de démissionner et démissionner réellement. Il a exhorté les médecins à bien comprendre le projet de loi 2 avant de prendre une décision. Le gouvernement ajoute maintenir un dialogue constant avec les
administrateurs du CISSSO et les médecins afin de trouver des solutions durables. Des webinaires ont récemment eu lieu pour répondre aux préoccupations, et la ministre
Sonia Bélanger a visité la région le 10 novembre pour rencontrer directement les groupes communautaires.

Le député de Pontiac, M. André Fortin, a averti que la région ne peut perdre d’autres médecins. « Cette loi est contre-productive. Elle n’améliore pas l’accès aux soins ; au
contraire, elle fait le contraire », a déclaré M. Fortin. « Le gouvernement blâme les médecins pour ses propres échecs. Chaque fois que nous perdons un médecin de famille, plus de mille patients perdent leur médecin. Chaque fois que nous perdons un spécialiste, des chirurgies sont retardées. »