Tashi Farmilo
Publié dans le Journal du Pontiac du 3 décembre 2025.
OUTAOUAIS – La Première Nation Kitigan Zibi Anishinabeg a déposé des revendications parallèles de titre autochtone devant les tribunaux du Québec et de l’Ontario afin d’obtenir la reconnaissance de droits non cédés sur de vastes portions du bassin versant de la rivière des Outaouais, incluant L’Isle-aux-Allumettes et les territoires voisins de la MRC Pontiac. Parmi les défendeurs figurent Hydro-Québec, les gouvernements fédéral et provincial ainsi que la Commission de la capitale nationale.
Le chef Jean-Guy Whiteduck affirme que les poursuites reflètent des revendications de longue date selon lesquelles les Algonquins Anishinabeg n’auraient jamais cédé leur territoire traditionnel par traité. « Les Britanniques s’étaient engagés à régler cette question en 1763 », rappelle-t-il en faisant référence à la Proclamation royale. « Mais ce processus n’a jamais eu lieu avec nous. » Le chef Whiteduck souligne que, bien que des traités aient été signés vers l’Ouest, aucun accord de ce type n’existe pour le territoire algonquin situé de part et d’autre de la rivière des Outaouais.
Il décrit la démarche comme une réponse nécessaire à un échec historique en matière de réconciliation. « Nous étions alliés avec les Français. Lorsque les Britanniques ont pris le contrôle, ils ont promis que nous conserverions nos droits, mais au fil du temps, ils ont affaibli notre position et ont imposé des réserves sans négociation », dit-il. « Nous ne cherchons pas à chasser qui que ce soit. Nous voulons être partenaires dans la façon dont les terres sont utilisées et pouvoir en bénéficier également. »
Le chef Whiteduck souligne la présence de barrages et de projets de développement sur le territoire traditionnel où les communautés algonquines n’ont jamais été consultées. « Hydro-Québec a construit des barrages tout le long de la rivière sans notre consentement. Nous tentons de négocier avec eux, mais ils nous offrent une fraction de ce qu’ils ont accordé à d’autres communautés dans des situations similaires. »
La stratégie juridique consiste, selon lui, à cibler des parcelles clés afin d’établir le titre ancestral devant les tribunaux. Des sites stratégiques ont été choisis pour créer un précédent, et non pour interférer avec la propriété privée. « Notre intention n’est pas de retirer des terres à des propriétaires en franc-tenure. Ce sera réglé politiquement entre les parties concernées. »
La position de Kitigan Zibi est appuyée dans un récent mémoire déposé devant la Cour suprême du Canada, où la Première Nation est intervenue dans une affaire distincte concernant le titre ancestral. Dans ce mémoire, Kitigan Zibi réclame des processus judiciaires favorisant l’accès à la justice et évitant les retards causés par les revendications qui se chevauchent et les politiques de traités modernes.
Le maire Corey Spence, de L’Isle-aux-Allumettes, confirme que l’île est bien
mentionnée dans la revendication, mais précise qu’elle vise uniquement les terres de la Couronne. « À ce stade, il n’y a aucun impact direct sur les résidents, et les
services continuent normalement », dit-il. « Nous respectons le droit des Premières Nations de faire valoir leurs revendications devant les tribunaux et nous tiendrons notre communauté informée. »
Hydro-Québec a refusé de commenter en raison des procédures judiciaires en cours. Le bureau du député provincial André Fortin a indiqué qu’il était indisponible en raison de la reprise des travaux à l’Assemblée nationale. Aucun commentaire n’a été reçu de la députée fédérale Sophie Chatel avant l’heure de tombée.
Bien qu’aucune date d’audience ne soit encore fixée, les requêtes juridiques déposées dans les deux provinces représentent une avancée majeure dans la volonté de Kitigan Zibi d’affirmer son titre au Québec et en Ontario. Le chef Whiteduck reconnaît que le processus pourrait prendre des années, mais il estime qu’il est essentiel. « Nous voulons notre juste part, la reconnaissance de notre place sur ce territoire, et que le développement se fasse dans le respect de la durabilité et de nos droits. »
« Il ne s’agit pas de division, mais de reconnaissance. Si la réconciliation doit avoir un sens, elle commence par reconnaître que les terres sur lesquelles nous nous trouvons n’ont jamais été cédées », conclut le chef Whiteduck.
