Honneur à mon conjoint dépressif

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Dominique Bomans
Éditorialiste Invitée
Guest Editorialist

Je me suis fait dire récemment que mon conjoint était quelqu’un d’apparemment

Dominique Bomans
Éditorialiste Invitée
Guest Editorialist

Je me suis fait dire récemment que mon conjoint était quelqu’un d’apparemment
difficile – « apparemment » difficile parce que la personne qui m’a dit ça ne le connaissait pas, mais l’avait déjà jugé. J’ai répondu :
« Moi, c’est le monde que je trouve difficile ». Je me suis toujours demandé quel malin plaisir il y avait à parler des gens à d’autres gens que l’on connaît à peine, condamnant à un jugement hâtif, souvent basé sur quelques premières impressions déjà teintées du jugement des autres, une personne que, finalement, on ne connaît pas, et surtout qu’on ne cherche pas à connaître.
Il y a quelques années de cela, j’écrivais un texte qui s’appelait « Mésadaptée »; lorsque je l’ai lu à mon conjoint, il a cru que j’y parlais de lui et pourtant, j’y parlais de moi. Nous sommes donc deux à nous sentir « mésadaptés » depuis des années. Je pourrais remonter dans nos enfances respectives pour expliquer ce sentiment permanent de ne pas être à sa place que beaucoup de gens connaissent. Mais là n’est pas mon propos. Le fait est que, pour
certains, le monde est difficile et que vous le vouliez ou non, ils sont de plus en plus nombreux et de plus en plus jeunes à ressentir les agressions conscientes ou inconscientes d’un monde qui ne les comprend pas.
Selon un sondage commandé par l’Association canadienne pour la santé
mentale (ACSM), 59 % des 18 à 34 ans considèrent la dépression et l’anxiété comme une épidémie, rien de moins. J’en ai entendu des éloges de notre système de santé « gratuit », véritable source de fierté pour plus d’un. Pourtant, selon le Docteur Patrick Smith, chef de la direction nationale de l’ACSM, « en réalité, ce n’est pas un système de santé universel que nous avons, mais un système médical universel qui ne garantit pas l’accès à certains des services les plus fondamentaux en santé mentale ». Pour qui s’est déjà perdu dans les méandres des demandes d’aide en santé mentale, une telle déclaration n’est pas surprenante.
Il peut paraître délicat de mentionner les personnes qui sont atteintes de dépression et qui vivent dans notre entourage parce qu’il est encore difficile de passer au-dessus des préjudices causés par le regard de l’autre qui voit le dépressif comme celui qui n’a pas su se retrousser les manches, prendre sa vie en main, celui qui, faute de volonté, n’a pas su se montrer assez fort pour affronter son destin.
Le fait est que… un Canadien sur cinq sera personnellement touché par la maladie mentale au cours de sa vie; d’ici 2020, les maladies dépressives seront la cause principale du fardeau de la santé dans les pays développés, le Canada ne faisant pas exception (selon l’Organisation mondiale de la santé). Stigmatisés, les troubles mentaux se vivent souvent cachés dans les foyers, ils n’apparaissent pourtant pas soudainement. Pour les « mésadaptés » que nous sommes, nous sommes de plus en plus nombreux à penser que c’est le monde qui est inadapté et vu l’augmentation des problèmes de santé mentale, peut-être que le monde devrait se poser quelques questions avant de juger parce que chaque petit geste compte pour éviter le pire.